Le chef d’entreprise face à ses dettes : limiter les risques

La protection du patrimoine du chef d’entreprise individuelle, en cas de risques financiers, est un problème incontournable.

Souvent, le dirigeant s’est immatriculé, sans être conseillé par un expert-comptable, en privilégiant la facilité. D’autres fois, il aura été conseillé sur le choix de la structure juridique mais en privilégiant les économies d’impôts ou de cotisations.

La protection du patrimoine personnel du dirigeant n’est abordée que dans les cas où les valeurs patrimoniales détenues sont importantes. Pourtant, le risque d’impayés, de choix malencontreux ou de liquidations judiciaires et de faillites n’épargnent aucun chef d’entreprise

Pour cette raison, il m’a semblé judicieux d’aborder les différents possibilités juridiques qui permettent, au dirigeant, de protéger son patrimoine. Nous verrons que ces solutions s’adaptent, facilement, en fonction de la structure juridique choisie (Auto Entreprise, Entreprise Individuelle, EIRL …).

L’entrepreneur individuel face à ses dettes

Dans une entreprise individuelle, le chef d’entreprise est responsable de ses dettes sur la totalité de son patrimoine (professionnel et personnel). Cette absence de frontière entre patrimoine professionnel et patrimoine personnel est définie dans l’Article 2394 du Code Civil.

Cet Article prévoit qu’en cas de dettes contractées par son entreprise, la totalité du patrimoine du dirigeant pourrait être saisi par un créancier.

Pourtant, en cas de cessation de paiement, vous devez savoir que tous vos créanciers ne seront pas traités de la même façon (Article 2395 du Code Civil).

Les créanciers

En effet, il existe deux catégories de créanciers :

  1. les créanciers chirographaires,
  2. les créanciers privilégiés.

Les Créanciers Chirographaires

Les créanciers chirographaires sont ceux qui n’ont pas de garantie particulière. Cela signifie qu’ils ne sont pas “prioritaires”.

Ainsi, en cas de liquidation judiciaire d’une entreprise (c’est à dire, en cas de faillite), les créanciers se partageront ce qui reste de l’actif de l’entreprise. De plus, ils se partageront cet actif au prorata de leurs créances (Article L643-8 du Code du Commerce).

Cela ne signifie pas, pour autant, qu’un créancier chirographaire n’a aucun pouvoir de pression. Ainsi, n’importe quel créancier chirographaire peut, malgré tout, engager une procédure judiciaire. Cette procédure aura pour effet de bloquer le compte bancaire de son débiteur. Cependant, le statut de créancier chirographaire ne lui permet pas de “saisir” un bien “directement”.

Les Créanciers Privilégiés

Les créanciers privilégiés sont ceux qui bénéficient d’une garantie juridique accordée volontairement par l’entrepreneur ou par la loi.

Ces garanties (ou suretés) peuvent être de plusieurs natures :

  • le gage,
  • le nantissement,
  • la caution personnelle,
  • l’hypothèque …

Là encore, selon le type de garantie accordé par le dirigeant, le créancier bénéficiera de droits plus ou moins prioritaires sur l’Actif. Ces droits s’exerceront en cas de problèmes financiers, de retards de paiements, de liquidation judiciaire …

Parmi les créanciers privilégiés, il existe une catégorie “ultra” prioritaire : les créanciers super privilégiés.

En effet, la loi accorde, systématiquement, des privilèges supérieurs aux créanciers suivants :

  • les salariés de l’entreprise,
  • le Trésor Public,
  • la Sécurité Sociale.

En cas de faillite de l’entreprise, ces créanciers seront réglés avant tous les autres créanciers, même les privilégiés.

Comment limiter les risques pour un entrepreneur individuel ?

Il existe des solutions qui permettent de limiter les risques de saisie quand on est un dirigeant. Encore faut-il les connaitre et les utiliser au bon moment …

Dans cette partie, nous aborderons les principaux outils qui sont utilisables pour limiter les risques de saisie :

  • l’insaisissabilité légale de la résidence principale,
  • la déclaration d’insaisissabilité des autres biens immobiliers,
  • la déclaration d’affectation du patrimoine,
  • la transformation en société à Responsabilité Limitée,
  • le contrat de mariage.

La résidence principale de l’entrepreneur est insaisissable

Dorénavant, la loi prévoit que la résidence principale du chef d’entreprise n’est plus saisissable par les créanciers. On parle d’insaisissabilité de la résidence principale.

En effet, l’article 206 de loi MACRON du 06/08/2015 pose ce principe de l’insaisissabilité “de droit” de la résidence principale de l’exploitant individuel. Auparavant, la loi imposait une déclaration notariée avec descriptif du bien occupé à titre d’habitation. Avec cette loi, le dirigeant n’a plus de formalités à remplir. Cette insaisissabilité du domicile du dirigeant est automatique.

La déclaration d’insaisissabilité pour les autres biens immobiliers

Pour ses autres biens immobiliers, dans la mesure où ils ne sont pas affectés à son activité professionnelle, il existe une solution “protectrice”. Pour la mettre en œuvre, le chef d’entreprise doit contacter son notaire afin qu’il établisse une déclaration d’insaisissabilité (Articles L526-1 à L526-4 du Code du Commerce).

Le notaire se chargera d’établir cette déclaration d’insaisissabilité. Puis, il la publiera au Registre du Commerce, au Répertoire des Métiers ou dans un journal d’annonces légales (selon votre activité).

Le coût est règlementé c’est à dire qu’il est encadré par la loi (Arrêté du 26 Février 2016). Il est de 139,93 euros. C’est le même tarif que pour la déclaration d’affectation d’un bien immobilier.

Par contre, cette déclaration n’a pas d’effet contre les créanciers d’ordre privé. Elle sert seulement à protéger un bien immobilier des poursuites des créanciers professionnels. De la même façon, elle ne concerne que les dettes professionnelles qui sont nées après la publication de cette déclaration.

A l’inverse, il est possible de renoncer, à tout moment, à cette protection. Cela peut s’avérer nécessaire, par exemple, pour obtenir un crédit professionnel. Le dirigeant peut même, ultérieurement, y renoncer totalement par acte notarié.

La déclaration d’affectation du patrimoine professionnel

Il existe un autre moyen de réduire les risques de poursuite par les créanciers professionnels sur son patrimoine privé.

En effet, les Articles L526-6 à L526-21 du Code du Commerce instituent le principe de l’affectation d’une partie du patrimoine d’un entrepreneur individuel, à son activité professionnelle.

Avec ces articles, le législateur a voulu faire un parallèle avec les sociétés de capitaux (SA, SARL, EURL). Dans ces sociétés, un capital est souscrit pour “garantir” les engagements de la société envers les créanciers professionnels.

La déclaration d’affectation du patrimoine poursuit le même objectif. Elle cherche à garantir les dettes professionnelles des entrepreneurs individuels sur leurs biens professionnels, uniquement. Ces biens doivent faire l’objet d’une désignation précise et d’une évaluation.

Pour plus de détails, n’hésitez pas à consulter notre article sur la déclaration d’affectation du patrimoine. Il vous fournira toutes les informations utiles et pratiques pour mettre en place cette protection.

La transformation de l’Entreprise Individuelle en EURL

Parfois, Le chef d’entreprise considère que le niveau de protection assuré par les outils ci-dessus n’est pas suffisant. Il cherchera une solution qui permette d’instaurer une barrière totale et permanente entre son patrimoine personnel et son activité professionnelle.

Dans ce contexte, son conseiller l’orientera vers la création d’une structure de type :

  • EURL, s’il souhaite rester seul.
  • SARL, s’il souhaite s’associer avec un tiers.

Ce passage d’Entreprise individuelle à EURL (ou SARL) nécessitera un accompagnement juridique assez “lourd”. Vous aurez, dans ce cas, besoin d’un avocat et/ou de votre expert-comptable. Ces conseillers se chargeront de cette transformation (rédaction des statuts, apport ou cession de fonds …) avec un coût qui dépendra de l’importance de votre entreprise et de ses particularités.

Enfin, notez que ce surcoût important aurait pu être évité si le dirigeant avait opté, lors de la création de son entreprise, pour la bonne structure.

Le contrat de mariage

C’est un système de protection qui n’est pas souvent évoqué dans des articles rédigés par des experts-comptables. Pourtant, l’efficacité du contrat de mariage est intéressante lorsque l’on évoque les risques de poursuites sur les biens personnels du dirigeant.

En effet, pour protéger le conjoint “naturellement” commun en biens, il suffit parfois de mettre en place une déclaration de séparation des biens communs.

Cette séparation de biens permet d’isoler, simplement, le patrimoine de l’épouse. Ainsi, face aux créanciers professionnels ou aux créanciers personnels de l’époux, ce patrimoine se retrouve à l’abri …

Toutes ces mesures de protection ont des limites

Toutes ces mesures de sécurisation ne sont pas infaillibles. A n’en pas douter, en cas de faillite, les créanciers tenteront de mettre en avant des irrégularités ou des exceptions qui fragiliseront ces mesures de protection.

Parmi ces cas, on peut évoquer :

La mauvaise application des mesures de protection

Très souvent, ces mesures ne sont efficaces que si elles sont parfaitement appliquées. C’est pour cette raison qu’il est indispensable de se faire accompagner par un conseiller (expert-comptable ou avocat). Ce professionnel doit être disponible, à votre écoute et avec une parfaite maitrise de votre dossier.

Si l’on prend l’exemple de la déclaration d’affectation du patrimoine, la loi a prévu des sanctions en cas de valorisation excessive des biens affectés à l’usage professionnel. Cette situation se retrouvera lorsque l’entrepreneur a valorisé librement ses biens. Si vous vous retrouvez dans ce cas, à cause de cette erreur d’évaluation, votre patrimoine privé pourra être engagé avec toutes les conséquences que vous pouvez imaginer …

Les fautes du dirigeant

D’une manière générale, toutes ces mesures de protection deviennent inefficaces si le créancier arrive à prouver qu’il y a eu faute, manipulation ou “organisation” d’insolvabilité du dirigeant.

Ainsi, face à l’administration fiscale, l’article L267 du Livre des Procédures Fiscales prévoit la possibilité de poursuivre le dirigeant sur son patrimoine personnel. Cette solidarité de paiement s’applique en cas de manœuvres frauduleuses mais aussi en cas d’inobservations graves et répétées des obligations fiscales. Cette dernière précision ouvre l’application de cette solidarité à beaucoup de dirigeants qui n’ont, par exemple, pas déposés leurs déclarations après de multiples relances …

Les choix “volontaires” du chef d’entreprise

D’autres fois, ce sont les actions volontaires du dirigeant qui fragilisent ou annulent les systèmes de protection qui ont été instaurés.

Ce sera par exemple le cas si le dirigeant accepte de signer une caution personnelle pour obtenir un prêt professionnel. Très souvent, il s’agit là d’une décision volontaire du dirigeant car il n’aura pas d’autres choix possibles.

Le banquier conditionnera l’octroi de crédit à la signature de cette caution. Cependant, dans ce contexte, toutes les séparations de patrimoine qui auront été prévues deviendront, de fait, inefficaces ….

La limitation des risques de poursuite sur les biens personnels du dirigeant devrait être une problématique prioritaire à toute création d’entreprise. Souvent, des solutions existent. Plus elles sont prises précocement et moins elles seront couteuses. Encore faut-il que le dirigeant s’en soucie et soit bien accompagné.

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